Récit n°6
On ne sait jamais comment on va accoucher
Dix septembre 2022. Je suis à 41 semaines d'aménorrhée et 2 jours.
J'ai eu des contractions de Braxton presque toute la grossesse, avec un utérus contractile. Mais depuis fin août, ça s'est intensifié, avec des soirées entières à contracter toutes les 10 minutes, et puis ça passait dans la nuit. Chaque soir je me disais que ce serait peut être différent, et que la naissance serait peut être pour cette nuit, mais non, le travail ne se lançait pas.
Le huit septembre, jour du terme, je me suis rendue à mon rendez-vous de suivi. On m'a fait une échographie, un monitoring et un test urinaire. Après un doute sur la quantité de liquide présente, finalement tout allait bien. Tout, sauf cette fatigue intense et ce sentiment que je ne pourrai pas accoucher naturellement. J'ai peu à peu perdu confiance en moi, et en mon corps, malheureusement. On m'a proposé un décollement des membranes pour aider le travail à se lancer. Je l'ai accepté avec l'espoir d'éviter un déclenchement, que je redoutais. J'avais longtemps imaginé mon accouchement, surgissant la nuit, durant une douzaine d'heures, et j'avais dans l'idée de gérer mes contractions dans la baignoire, et de me rendre a la maternité qui était à quelques minutes de chez nous, lorsque je sentirai le moment venu. Bien évidemment ce n'est pas ce qui s'est passé. Le décollement des membranes fut douloureux, mais on m'a dit que c'était signe d'un décollement bien fait. La sage-femme m'annonce un col à un doigt large ce jour-là, très favorable. Alors je suis rentrée chez moi, les contractions ont continué, et ont été plus fréquente. Mais n'ont pas été spécialement plus intenses. Les 2 jours ont passé et nous revoilà au 10 septembre.
Je me rends avec le papa au rendez-vous de J+2, comme prévu. Je suis épuisée. On m'examine, et la sage-femme me dit que le col est ouvert à 2 doigts. On a donc progressé, mais à ce rythme je pense ironiquement que je pourrai accoucher en octobre. Devant mon état d'épuisement, l'équipe me propose un transfert sur un autre hôpital qui a la place de me prendre pour déclencher le travail. Nous nous y rendons dans l'après midi, après être repassé chez nous prendre nos affaires et celles de notre bébé.
Dans cette petite maternité de niveau 1, je suis de nouveau mise sous monitoring. Tout va bien, on y voit les contractions toutes les 10 minutes qui me sont habituelles depuis des jours. La sage femme pose un cathéter, afin de me perfuser la fameuse ocytocine de synthèse, tant redoutée, mais à ce stade j'aurai pu la boire en sirop s'il le fallait.
Je regarde mon amoureux, dans cette piece étroite, aux murs jaunes, prenant conscience que nous y étions enfin. Nous allons devenir parents, dans les heures à venir.
L'ocytocine est lancée à 17h30. Nous sommes dans une chambre, avec deux lits, assez vétuste, semblable à de nombreuses chambre d'hôpital. Des murs à la peinture abîmée, de vieilles portes sombres, un sol défraîchi. Je vois les branches d'un arbre depuis mon lit, par la fenêtre entre-ouverte. Le monitoring est toujours branché, pour surveiller le rythme cardiaque fœtal et les contractions. Tout est si calme, le bruit des oiseaux et les battements du coeur à travers ma peau. C'est un son magique, une douce mélodie.
La sage femme augmente le débit de la perfusion toutes les demi-heures. Je ne sens pas de grands changements, au début, tout du moins.
Vers 19h00, mon amoureux ramène un fast-food, je mange peu en quantité par peur de me sentir nauséeuse par la suite. Ce sera notre dernier repas en tant que couple, avant la naissance de notre bébé.
Peu de après, aux alentours de 20h, les contractions deviennent douloureuses. Je me sens capable de les gérer, j'applique alors soigneusement les conseils donnés aux cours de préparation à l'accouchement. Je visualise chaque contraction comme quelque chose de normal et physiologique, quelque chose que mon corps sait faire, et qui me rapproche de notre rencontre. Mais très vite, la douleur devient difficile à gérer, car le répit est court entre deux contractions. Je perds le bouchon muqueux à ce moment là.
Le changement d'équipe a lieu dans ce même temps, alors lorsque Lydie la sage-femme de nuit se présente, je suis accroupie, me tenant au bord du lit, en soufflant doucement afin de gérer au mieux la douleur. Elle me propose de m'examiner. Le col est toujours à 2. Je suis déçue car je pensais qu'il serait au moins à 3, au vue des douleurs que je suis en train de gérer.
Lydie me propose d'aider le travail en perçant la poche des eaux mécaniquement. À ce moment-là, je m'imagine avoir mal encore des heures, alors j'accepte tout ce qui pourrait aider, espérant voir notre bébé naître dans la nuit. Elle part chercher son matériel, les contractions sont déjà fortes, mais je gère.
Mon amoureux fait doucement rouler une balle de tennis dans mon dos, je cherche des points d'acupression, je souffle lentement, profondément. Aux alentours de 21h, Lydie revient et m'explique le geste, et je me mets sur le bassin entre deux contractions. La sage-femme constate le rapprochement entre les contractions et elle perce la poche des eaux. Je sens le liquide chaud couler entre mes jambes, et je demande à Lydie le moment propice à la pose de la péridurale selon elle.
Elle m'explique alors que ça dépend surtout de moi et de mon ressenti. J'acquiesce. Elle sort de la chambre, nous laissant à nouveau mon amoureux et moi, pour gérer ce flot de contractions douloureuses. Après quelques minutes je réalise qu'il faut un temps entre la demande de la pose et son plein effet, alors j'appelle les soignants et je leur expose ce point de vue. Une auxiliaire m'amène alors un fauteuil pour me diriger vers la salle de naissance. Les contractions s'enchaînent déjà tellement que j'ai à peine le temps de jeter sur ce fauteuil, qu'une nouvelle fait son apparition.
Elles sont longues, je ne peux plus tenir mais je continue de souffler, pendant que l'équipe s'agite autour de moi.
L'anesthésiste arrive et prépare son matériel. Je m'assois sur le bord de la table, le dos rond, subissant les contractions et j'écoute l'auxiliaire. Elle m'encourage me dit que je gère très bien, et que ce sont les dernières que je ressens ainsi. Si seulement. Je continue de l'écouter ne me concentrant que sur sa voix. L'anesthésiste est en train de me piquer le dos et de trifouiller entre mes vertèbres pour m'injecter son produit miracle.
Après un essai infructueux, elle parvient à poser la péridurale. Mais à ce moment-là, en réalité, je ne saisi même pas l'information de l'échec de la pose, tant les contractions sont intenses. Je n'ai rien senti concernant la pose de la péridurale.
Ensuite, je suis invitée à me rallonger et attendre l'effet de l'anesthésie, qui tarde à se faire ressentir. À plusieurs reprises, le médecin me dit que je devrai me sentir mieux et avoir moins mal mais au même moment, je réponds que non, ce n'est pas mieux, c'est de pire en pire, et je commence à perdre pied. C'est une soulier inimaginable, je ne sais même plus respirer normalement. Il ne s'agit plus de gérer mais de passer ces moments difficiles. On me propose du meopa, que j'accepte, mais qui n'a aucun effet. Lydie me propose de contrôler le col, devant l'incompréhension générale de cette douleur. J'ai la sensation que le bas de mon ventre pousse vers le bas. Le col est à 6. Il est environ 21h20. Lydie comprend alors et m'explique que le travail est très rapide et que la péridurale n'arrive pas à suivre.
En entendant ces mots le médecin remet plusieurs bolus et mon amoureux prend ensuite le relai et gère la pompe qui délivre les doses d'anesthésie.
Tout est flou, je ne suis plus vraiment là, la douleur s'est emparée de mon corps et paralyse mon esprit. Je ne suis que douleur. J'ai la profonde sensation que je vais perdre connaissance tant la douleur est forte. Mais non je reste éveillée, et je pousse des râles. Je ne perçois que mon amoureux par moment cherchant à trouver des points d'acupression sur mes mains pour tenter de diminuer ma douleur, entre 2 bolus. Il ne lache pas la pendule pour le délivrer une nouvelle dose dès que possible. Je crois aussi sentir sa main dans la mienne, et sa voix me répétant de serrer autant que je veux. Je me suis accrochée à ça, à ces petits détails, pour essayer de me sentir au moment présent.
Il est 21h45, Lydie contrôle le col, il est à 10, avec la tête engagée, je commence seulement à émerger.
Contraction après contraction la douleur disparaît, laissant place à une sensation à peine désagréable. je recommence à parler, à écouter, à être de nouveau là. L'équipe me dit que la naissance approche, on me demande si je souhaite allaiter, l'auxiliaire récupère les petits vêtements de notre bébé pour les mettre à réchauffer.
Je m'amuse à découvrir que mon amoureux est en chaussettes, car il n'a pas eu le temps d'enfiler des chaussures au moment du passage en salle de naissance. L'équipe plaisante aussi et répond qu'il faut savoir se mettre à l'aise pour un accouchement. Entre 22h et 22h50 nous laissons le bébé descendre doucement dans le bassin. Lydie me demande d'essayer de pousser une fois pour voir, et là je réalise que je ne sens plus les sensations. La péridurale a été fortement dosée. L'équipe surveille le rythme cardiaque de notre bébé, la salle est calme, nous discutons. Un peu avant 23h, je me lance malgré le fait que je ne sente plus rien ou presque. Lydie m'encourage, tout le monde est positif, mais j'ai des difficultés à faire avancer mon bébé vers la sortie. C'est long, car poussée après poussée je fatigue. Le monitoring indique que le coeur du bébé ralenti. La sage-femme ne veut pas m'alarmer, alors elle nous dit que ça arrive, que ce n'est pas grave, ça indique seulement qu'on doit doit aider notre bébé à sortir assez vite. Alors j'essaie, je persévère, de toutes mes forces. Cependant après plus de 40 minutes de poussées, je suis épuisée et frustrée de ne pas parvenir à faire progresser la tête dans le bassin. Alors vers 23h35, Lydie se résigne à appeler le gynécologue, qui arrive rapidement. Ils font une échographie pour évaluer la position du bébé. Puis le médecin me parle de la ventouse. Il m'explique que c'est nécessaire, que ça ne va pas tirer sur la tête mas seulement l'aider à se diriger correctement. J'accepte la manœuvre. Je sens que ça tire mais je n'ai pas douleurs, ils me demandent de pousser. Je pousse pendant que le médecin dirige la tête, tout le monde m'encourage, dont mon amoureux qui est aux premières loges. Ils maintiennent la pression pendant que la tête sort, je pousse encore pour sortir les épaules et ça y est, notre fille est là. Mon amoureux coupe le cordon. Il est 23h53, et on vient la poser contre moi. Je lance un regard amoureux au papa, nous sommes ébahis tous les deux. Ce moment semble irréel. Elle pleure, on la couvre avec un bonnet et on nous installe pour ce moment magique, peau contre peau, je ne vois plus que nous 3. Je sens pour la première fois son petit corps chaud à l'extérieur du mien. Ses petits bras et ses petits pieds qui bougent contre moi, elle est encore toute humide, mais ses yeux sont déjà grand ouverts. Je souris, pas de pleurs, pas de larmes. Les yeux de mon amoureux, eux, brillent légèrement.
On nous félicite et on nous demande son prénom, nous nous sommes regardés pour annoncer son doux prénom : Margot.
J'ai eu 5 points, dont 3 en interne. Une déchirure simple. Nous sommes restés en salle 2 heure. La délivrance s'est bien passé. J'avais notre fille déjà au sein pendant les sutures. J'ai mal supporté la péridurale par la suite faisant un malaise au retour dans la chambre avec perte de connaissance en allant aux toilettes, sur une hypotension.
Une merveilleuse aventure, bien qu'inattendue !